• Souvenir: chez mes cousins germains à Saint-Germain-en Laye. Grande table bourgeoise- rectangulaire, avec nappe blanche, cristaux et porcelaine. Les verres ont leur place eux aussi. Et l'on débattra longtemps de l'ordre des verres, et de l'orientation de la fourchette, dents vers le haut ou vers le bas.

    Et mon oncle François -veste de costume, chemise et cravate s'il vous plait, même chez lui, même dans l'intimité familiale -trône au milieu. Mon oncle donc et à sa droite, la personne la plus "respectable". Ma mère si nous étions les seules invitées. Ma grand-mère (la mère de mon père) si elle était présente. Et bien sûr les enfants sont relégués en bout de table! Ils ne mangent quand même pas à la cuisine, ou avant. Sauf si mon oncle et ma tante reçoivent.

    Il y avait donc un ordre établi et l'image projetée d'une hiérarchie à respecter. Ce qui ne nous empêchait pas, le temps de ces longues, interminables agapes, de nous faire force clins d'yeux et signes sous la table quand nous pouvions, pour tromper notre ennui et le fait que nous n'avions pas le droit de parler sans y avoir été invités. Était-ce une bonne chose?

    Dans mon autre famille il n'y avait pas ce cérémonial. Mais avez-vous remarqué comme moi que les gens ont tendance à avoir une place assignée? La plus pratique? Pour être près de la cuisine et du service? Oui peut-être. La place face à la fenêtre parce que c'est plus agréable que d'être face au mur? Une place dans les bouts de table ou les coins, pour se sentir moins coincé et avoir plus de facilité à se lever? Le mari en face de son épouse, plutôt que côte à côte. On ne se tord pas le cou quand on parle. On échange plus facilement. Qui a repéré le siège le plus confortable, qui le tableau, l'image, l'objet qui lui plait, et qu'il a envie de contempler en mangeant...

    Même quand les gens disent qu'ils s'en fichent, vous remarquerez que souvent ils reprennent la même place. Habitude? Rassurance? Une certaine façon de poser sa place, de mettre de l'ordre quand au-dehors, dans le monde, il y a tant de désordre? Routine aussi, ronron... Et dans les stages de communication, les cours de bien-être, de relaxation, de développement personnel, les animateurs ont tendance à faire bouger les participants, à leur faire "changer de place" pour faire bouger cette routine...

    D'ailleurs qui n'a pas joué à la chaise musicale, et ne s'est pas écroulé de rire en y jouant? Un jeu qui permet de donner du jeu à nos habitudes, de créer une liberté même occasionnelle. Avec quand même l'idée qu'il n'y aura pas de place pour tous, qu'il y en aura un ou une qui n'aura pas de place.

    Mieux vaut être joli petit canard dans sa basse-cour que vilain petit canard sur le lac des cygnes. Même si ce destin-là semble enviable, grandiose...

    Si tu ne veux pas rester à ta place, les autres auront tendance à te la rappeler. Et il te faudra bien de l'énergie pour changer de place et gagner ta place au soleil.


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  • C'est joli une petite main, ça fait penser à la main d'un bébé, d'un enfant, rose et tiède, pulpeuse, duveteuse, soyeuse, potelée peut-être.

    Une petite main ça a moins la cote qu'une grande main. De grandes, de longues mains fines d'aristocrate dit-on ; et non les mains courtes, carrées, des paysans, des travailleurs. Des mains de pianiste peut-être... Les mains d'une femme délicate, un peu phtisique, des mains blanches et diaphanes en train d'ouvrir délicatement l'emballage d'un biscuit tendre qu'elle va grignoter avec parcimonie...

    Une petite main alors ce serait la main d'une travailleuse de l'ombre, la main d'une ouvrière de l'oubli, la main d'une couturière employée aux menues tâches : ourlets, reprises... une stakhanoviste de la couture.

    Mais non ce n'est pas ça! Être une petite main c'est appartenir aux hautes sphères des grands couturiers. C'est être une professionnelle reconnue et admirée, de celles que nous voyons parfois à la télévision, apportant la dernière touche ou retouche, la dernière main, à une somptueuse robe qui va attirer les applaudissements lors le la présentation de la nouvelle collection. Être une petite main au fond c'est être la Dentellière de Vermeer, ce merveilleux tableau où la lumière pleut sur le silence attentif et absorbé de cette femme toute entière à son ouvrage.

    Cela me plaît en fin de compte d'associer ma belle-mère, fière d'avoir été "petite main", et dont j'ai pu admirer quelques pièces de lingerie brodée, oui de l'associer à cette Dentellière si célèbre, dont les mains, rondes dans mon souvenir, douces dans mon imagination, attirent le regard des foules depuis si longtemps.

    Il savait bien, Vermeer, que les "petites mains" ont véritablement des doigts de fée.

    Manmère, je te salue!


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  • jeudi 17 décembre 2015

    Aujourd'hui est un grand jour pour moi: bientôt Noël et donc le redémarrage de l'atelier est un très beau cadeau que nous nous offrons.Et je sais que déjà le cadeau en entraînera d'autres, et qu'en l'ouvrant il va se déplier et grandir et nous offrir les moissons futures du partage.

    Pourtant Noël n'arrive pas vraiment car il fait très doux, les températures sont "anormalement" élevées comme on dit, et d'aucuns pestent contre le dérèglement climatique qui ne va pas permettre d'éliminer la vermine dans les potagers.Moi je n'aime pas le froid, alors ça me va. Mais c'est vrai que les agapes au coin du feu et la partie de boules de neige pour se dégourdir après les nuits un peu agitées, ce ne sera pas pour cette année.

     

    Bientôt Noël, oui, mais une nouvelle bien triste a refroidi cette atmosphère trop douce: la perte subite d'un ami, d'une connaissance qu'on appréciait, est toujours un grand moment de solitude glacée où tout s'arrête et se fige. On se plait à penser que les anges et les esprits bienveillants prêts à descendre sur terre en cette période de trêve, de paix et de lumière sont déjà là. Et qu'ils veilleront sur l'âme qui s'en va, qu'ils l'accompagneront et l'aideront à entrer sur un nouveau chemin de vie.

    Jacques aimait le théâtre, il était lui-même un personnage comme on dit, avec sa longue barbe, son air un peu sévère parfois, mais tant d'intelligence dans son regard bleu, et de connaissance de l'humain m'a-t-il semblé. Enfin d'après le peu que j'en ai aperçu. Je suis contente d'avoir croisé son chemin, et que mon fils aussi l'ait croisé; à l'occasion de rencontres théâtrales amicales très fortes.

    Bientôt Noël donc et certaines tables auront du mal à être fleuries. Et il faudra beaucoup d'énergie pour rire et s'amuser. Mais la magie du moment fait qu'au lieu de se sentir seuls, séparés, désemparés, le fait de se retrouver entre amies pour redémarrer l'atelier d'écriture me touche comme un hommage rendu à celui qui aimait les mots, les mots écrits, les mots joués, les mots chantés, avec force et colère parfois, les mots, les images, les couleurs, les rideaux de velours, et les escabeaux dressés qui permettent de monter vers les étoiles.

    C'est bien cela Noël, n'est-ce pas?

     

    Muriel


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  • L’artiste, comme l’oiseau, prend appui sur le vide.

     

    Je ne sais plus où j’ai trouvé cette phrase. Je rends hommage à son auteur.

    Il vous est déjà arrivé, je pense, d’être en admiration devant les funambules qui se promènent sur un fil entre deux tours à des hauteurs vertigineuses.

    Peut-être bien qu’ils prennent appui sur le vide et que c’est cela qui les fait « tenir » en l’air, tenir jusqu’au bout, sans être absorbés par le vide…

    Peut-être que le vide est pour eux un « solide », une épaisseur, et qu’il n’est donc pas vide. Qu’ils s’imaginent portés sur l’air comme par deux mains invisibles et bienveillantes.

    Je ne sais pas ce qu’ils imaginent. Qu’ils vont s’envoler et non tomber si jamais ils quittent ce fil ? Qu’ils vont rebondir en quelque sorte sur l’air, sur le vide, qui va les projeter vers le ciel ?

    C’est vrai que vous avez tous vu les oiseaux, et ceux qui ont une grande envergure en particulier, plonger vers le vide et d’un seul coup remonter, comme mus par un ressort…

     

    Alors oui sans doute l’artiste, comme l’oiseau, prend appui sur le vide.

    Il ne sait pas ce qui va apparaître sur la feuille ou la toile blanche, il ne sait pas ce qui va ressortir de la pierre. Mais en même temps, souvent, il se sent gros de tous ces mondes, de tous ces mots, de toutes ces images qui l’habitent, et qui forment ces mains invisibles, ce tremplin, ce ressort, sur lesquels il va s’appuyer pour avancer, pour chanter, pour hurler parfois ce trop-plein qui est en lui, ou ce vide qui le creuse mais qu’il est obligé d’explorer à en mourir ; le désir qui creuse en lui cette abondance qu’il va offrir.

     

    Un petit pas en avant, rien qu’un, sur le vide ; mais avec toutes les promesses de l’élan qui porte jusqu’aux étoiles.


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  • La sage-femme de Venise

     

    Comme souvent, quand je me déplace en train, et que je trouve un bon roman (d’ailleurs je les ai la plupart du temps trouvés dans les gares !), je le lis très vite, et ne vois pas le temps passer. Je ne m’arrête que lorsque je sens la nausée qui monte (je suis vite malade dans les transports).

    La couverture me plaisait, le lieu (ah Venise !) et la thématique : la première femme à avoir inventé « les cuillers d’accouchement ». Et une juive en plus ! Sur fond de racisme, de peste, d’inégalités sociales et sexuelles, une jeune femme aide tous ceux et celles qui l’appellent pour tenter de sauver, parfois in extremis, mère et enfant de la mort soudaine et si cruelle puisqu’elle survient en même temps que la vie.

    Femme amoureuse et comblée, elle risque gros en prenant de tels risques, mais n’arrive pas à refuser. Et quand un grand seigneur en pleine nuit vient la mander, elle accepte ; mais à une condition, à un prix (exorbitant) : elle veut de quoi payer la rançon de son mari prisonnier au-delà des mers…

     

    L’histoire se terminera bien, malgré la haine, les intrigues, la peste…

    J’ai beaucoup aimé le style, le rythme, le personnage de femme. Et mesuré une fois de plus ce que miracle veut dire à chaque  naissance.

    Nous avons un peu oublié cela ; comme nous avons un peu oublié les anathèmes portés aux femmes, de tout acabit : sexuels, religieux, moraux…

     

    Notre sage-femme arrive à dépasser tout cela et à rester elle-même.

    De quoi aussi faire réfléchir sur notre soi-disant modernité…

     

     


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