• Rêves en rade

    Rêves en rade

    La rade de Brest, c’est pour le vacancier qui arrive de Paris, brusquement, à la courbe du train, et quand il fait beau, l’éclatement du soleil sur les vagues, l’ouverture immense et qui semble infinie vers cette promesse de vacances, de bonheur, de bien-être, où les rêves ne seront plus en rade, mais prendront leur essor, tels les grands oiseaux marins, vers les promesses ouvertes des jours de plénitude et d’abandon aux douceurs de l’été.

     

     

    La rade de Brest les jours de grisaille c’est l’enfermement des navires et des hommes dans une baie dont on ne voit pas les limites, aux contours indécis, où l’on peut se noyer dans les vases ou les limbes de l’ennui poisseux qui colle à la peau. Les rêves restent alors en rade, privés d’élan, désemparés, car ils ne trouvent pas la porte, le passage, qui leur permette de s’ébrouer, de s’envoler, de planer dans les sphères de l’Idéal.

     

    Rêves en rade c’est une belle exposition de gravures et de lithographies de Jean Pierre Blaise à Saint-Renan, où l’artiste amoureusement joue du labeur des hommes, des cabanes insolites, des coins de ciel entre rochers, pour ancrer sa matière, son coup de pinceau, de crayon, et donner de l’épaisseur, de la profondeur, à la banalité de scènes qui sans lui resteraient en rade, dans l’indifférence du passant qui se hâte et n’a le temps de rien.

     

    Mes rêves sont en rade, dans ces limbes de la conscience où ils se réfugient souvent, ils ont du vague à l’âme, peut-être plus que moi encore, car ils traînent après eux ces boulets, ces ancres, qui les empêchent de prendre le large.

    Nos rêves sont-ils vraiment une partie de nous-mêmes, ou ont-ils une vie autonome qui nous échappe ? Ils nous rattrapent souvent sans crier gare, orientant nos nuits et nos jours ; ou comme ces amers sans âme sensés guider et protéger les bateaux d’échouages malvenus, ils bloquent l’horizon, l’entrée en rade, et le clapot des vagues vient souvent s’y briser.

     

    Pour ne pas rester en rade, il faudra dissiper la brume, inverser le moteur, exercer une puissante poussée et, avec force sinon en confiance, fendre la baie des rêves, qui ouvre sur le soleil de nos nuits.


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