• Hans BELTING

    L’Histoire de l’Art est-elle finie ?

     

    Edité à Munich en 1983

    Edition américaine 1987

    Editions Jacqueline Chambon 1989

     

    Préambule :

    Ma famille m’a souvent grondée parce que je lisais presque toujours la fin des romans avant le début ; pour eux c’était incompréhensible ; mais pour moi savoir la fin ne gâche pas le début. La question qui se pose et qui travaille en moi étant : comment l’auteur est-il arrivé à cette fin-là, qui aurait pu être autre ?

    Inversement j’ai commencé à apprécier l’art contemporain quand j’ai pu le mettre en perspective par rapport au passé, dans le processus de l’Histoire de l’art.

    Mais même si l’on réussit à comprendre comment telle ou telle époque a pu produire cet art-là, et comment il s’insère dans la trame de l’Histoire, il n’en demeure pas moins que l’œuvre d’art aurait pu être tout autre : c’est là le mystère de son incarnation, que personne ne peut expliquer ; pourquoi l’Aurige de Delphes et le Parthénon, pourquoi les Cathédrales gothiques et la lumière incomparable de leurs vitraux, pourquoi la Joconde ? Tous se cassent le nez devant l’œuvre.

     L’art, l’histoire de l’art, l’histoire de l’histoire de l’art, les concepts connaissent une inflation vertigineuse qui laissent pantois devant l’humble chapiteau d’une modeste église romane.

    Par ailleurs, comme l’a si bien montré Jean Pouillon, la tradition est une rétrospection et une rétroprojection : nous nous présentons comme les fils de ceux que nous reconnaissons comme nos pères ; nous regardons le passé d’ici et maintenant. Et quand nous éclairons l’Histoire de l’art, nous le faisons avec nos lumières et  nos concepts d’aujourd’hui, que  nous projetons sur le passé.

    Vasari un des premiers a eu cette conscience historique, et c’est pour cela qu’on le considère comme le père de l’Histoire de l’art. Mais il n’avait pas conscience (peut-être que si ?) qu’il projetait sur le passé l’esprit de son temps et qu’il organisait un processus, qu’il bâtissait une construction qui servait la gloire de la République de Florence.

    Les historiens de l’art d’aujourd’hui sont-ils plus lucides et moins dépendants de l’idéologie ? Les avancées des sciences humaines, l’entrée de l’anthropologie dans la sphère de l’art semblent vouloir réinsérer l’art à sa juste place : une entreprise humaine parmi d’autres dont l’évolution et les enjeux sont à chercher au cœur même des sociétés dont il émane.

    Ce préambule me permet je le souhaite de justifier l’ordre dans lequel je présente mon résumé-analyse de l’ouvrage de Hans Belting : après avoir rendu compte de sa préface, je commencerai par la deuxième partie :

    L’héritage de Vasari, L’Histoire de l’Art est-elle un processus ? Belting dit dans sa préface que « ce deuxième essai apporte ce qui manque au premier : une vue rétrospective de la tradition de départ en histoire de l’art ». La première partie se comprend donc mieux à la lumière de cette rétrospective.

     

    Préface :

    La question de la fin de l’histoire de l’art n’est pas nouvelle rappelle Belting, mais n’a pas empêché l’art ni son histoire de continuer ; mais ce qui est sérieusement mis en question c’est le modèle conceptuel de l’histoire de l’art tel que conçu, ou plutôt mis en forme,  normalisé par Vasari : la conception que l’art a une histoire et en même temps un but, une conception téléologique à la fois de l’art et de l’histoire ; liée à une forme de nationalisme, puisque l’idéal et la perfection de l’art, retrouvés de l’Antiquité à la Renaissance, s’incarnent dans Michel-Ange et dans Florence ; et du coup qu’ensuite il ne saurait être question que de décadence…

    Ce qui serait nouveau à notre époque, c’est la perte de cette croyance en un cours des événements pourvu de sens.

    Mais du coup le système fermé de l’art jugé sur des critères internes laisse la place à de  nouvelles approches externes, on peut déjà dire anthropologiques, de l’art.

    La première grande crise de l’histoire de l’art,  rappelle Belting, fut le fait de l’avant-garde qui se dressa contre la tradition. Mais très vite la succession des avant-gardes fit entrer aussi la modernité dans la tradition. Et du coup il fallut bien franchir la frontière entre l’art et son arrière plan social ou culturel : aujourd’hui l’artiste comme l’historien ne sauraient prétendre à une autonomie esthétique, qu’il faut remplacer (ou replacer) dans l’historicité des cultures passées. L’art est désormais « un système parmi d’autres de compréhension et de reproduction symbolique du monde ».

    Les historiens de l’art aujourd’hui doivent chercher des solutions nouvelles au problème de la constitution de « l’image » de ce qu’est une représentation à un moment donné de la « vérité ». .

    Le premier essai de l’ouvrage est une évaluation de la discipline telle que pratiquée aujourd’hui, une enquête sur ses problèmes anciens et nouveaux vus à la     lumière de notre expérience contemporaine de l’art.

     

    Je commencerai par le deuxième pour les raisons exposées plus haut.

     

    L’héritage de Vasari, L’histoire de l’art est-elle un processus ?

    Si l’œuvre d’art est une réalité, rappelle Belting, l’art est un concept ; opposition essentielle qui oppose l’objet, le tangible, à l’idée, et nous ne sommes donc pas loin d’emblée de l’idéal.

    Du coup quand nous pensons œuvre , nous ne pensons pas œuvre d’artiste mais « œuvre d’art » qui occupe donc une certaine position et acquiert un statut historique : car si l’œuvre d’art est individuelle et achevée, l’art lui est « commun » , mouvant, non fini, non terminé, en procès, puisque l’œuvre engendre l’œuvre à partir d’elle-même, de sa critique, de sa réception ultérieure : l’art ne peut être qu’histoire puisque le concept n’est à un moment donné de l’Histoire qu’une façon d’appréhender les choses tributaire de leur histoire même.

    Seulement voilà : un étonnant conflit apparaît, une contradiction apparente : l’œuvre d’art vivante peut s’ériger en  norme, statique par définition. En fait c’est par le dépassement de la  norme que l’ œuvre d’art retrouvera son caractère dynamique. Le classicisme fut la  norme la plus connue, norme comme fixée par avance par l’Antiquité à la Renaissance. Mais qui a fixé cette norme ? C’est là sans doute la limite de Vasari et de Winckelmann : s’ils ont été parmi les grands premiers à introduire l’historicisme en art, ils n’ont pas vu qu’ils étaient eux-mêmes le produit de leur histoire, et que la fin qu’ils assignaient à l’art, fin dans sa double acception de terme et de  but, était elle-même une  norme qu’il faudrait dépasser.

    Winckelmann écrit en 1764 la première « Histoire de l’art de l’Antiquité » stricto sensu. Mais il a une dette envers Vasari et c’est de Vasari que ce premier essai de Belting vient traiter.

    Et d’emblée Belting dit qu’il va traiter de « l’histoire comme processus ».

    Il pose le formalisme de Wölfflin comme la fin du modèle processuel de la tradition en art, modèle issu de Vasari et Winckelmann et systématisé par Hegel qui est leur héritier.

    Ce modèle c’est la métaphore de l’organisme biologique et de son cycle qui avait été le paradigme de tout développement et sa limite, le modèle évolutionniste.

    Rappelons ce modèle :

     

    Faire le tableau à la main

     

    Les Vies (première édition 1550, deuxième 1568) de Vasari décrivent bien un processus, celui de l’émergence de l’art de la Renaissance ; pour Belting Vasari nous donne aussi un exemple des problèmes posés par une historiographie artistique qui est encore la nôtre.

    Vasari dans l’introduction à sa deuxième partie invoque le topos de l’ « Historia magistra vitae » : on doit pouvoir tirer un enseignement de l’Histoire, les Vies auront donc une valeur didactique.

    Le modèle biologique doit aussi avoir valeur d’exemple : par l’image de la croissance il doit « aiguillonner » ; par celle de la décadence il doit mettre en garde (certains critiques de Vasari disent que celui-ci n’a pas pensé le déclin, d’autres que si).

    Le modèle biologique est celui d’un cycle et le caractère répétable du cycle se trouve dans le mot re-naissance. Mais c’est là que le bât blesse : la Renaissance est elle aussi prise dans le mouvement de l’Histoire et faire renaître l’Antiquité, comme une anticipation de la Renaissance, n’a pas de sens au sens de l’Histoire. C’est là l’origine de la grande  nostalgie romantique de Winckelmann, celle d’un impossible retour, qui lui arrache tant de larmes dans son ouvrage. Ceci dit Winckelmann, qui ne croit plus au retour, ne croit pas non plus au progrès, au processus, puisque l’Antiquité grecque reste à jamais pour lui la  norme perdue de l’Idéal atteint qu’on ne peut retrouver.

    Revenons à Vasari : c’est vrai que selon sa conception « sans modifier l’histoire, on pourrait échanger les noms des artistes grecs et des Florentins » : mon petit tableau ci-dessus le montre.

    Ce qui intéresse Belting, ce n’est pas tant ce que Vasari nous dit que ce qu’il dit de son époque : c’est là la « révolution » de notre approche de l’histoire de l’art : comment son élaboration est révélatrice des concepts, des représentations et des valeurs de l’époque où elle prend place, où elle se dit.

    Vasari acteur de sa tradition, artiste lui-même, parle de l’intérieur et témoigne de la conscience des artistes de son temps.

    Si la Renaissance est bien prise dans une conception cyclique de l’Histoire, il est vrai aussi que tous les artistes, les grands, ont concouru à trouver « la finalité et la perfection de l’art », et que cherchant à atteindre cette perfection, ils surpassent ceux qui avaient déjà surpassé la nature : les Anciens. Ainsi la redécouverte de la perfection antique permet à Michel-Ange, le maître et le modèle de Vasari, de surpasser Phidias ! Car Michel-Ange (et Vasari) conçoivent le développement de l’art comme solution à des problèmes, non l’art au sens matériel, au sens d’habileté manuelle, mais au sens conceptuel, comme le développement d’une règle universelle de beauté. Le problème de la perspective et sa résolution s’insèrent ainsi dans une « science » de la reproduction possible de la nature, science susceptible elle-même  de progresser.

    En se tournant vers l’Antiquité  Vasari et les artistes florentins prennent conscience qu’une nouvelle époque a commencé et qu’elle débouchera sur un  avenir digne de ses lointains prédécesseurs, avec une envergure supplémentaire.

    On ne s’y trompa pas puisque le grand Albrecht Dürer, un des premiers à avoir entrepris le voyage à Florence, exprime sa conscience d’un processus exemplaire de renouvellement : « L’art s’est remis en marche en l’espace d’un siècle et demi. Et j’espère qu’il poursuivra sa route (…) »

    Mais pour Vasari l’art avait atteint son but et disons-le franchement après Michel-Ange et Florence il ne pouvait plus y avoir que perte ou décadence.

    Mais le fait de penser que « les temps sont accomplis » est le signe, le symptôme même de l’accomplissement du cycle. Chaque fois qu’un processus de collection et d’inventaire se met en place : pensons à la collection des Dessins de Vasari, c’est que le processus se fige : collectionner et codifier, les Anciens le faisaient déjà (pensons aux grands collectionneurs romains comme Verrès, Cicéron) : cette pratique coïncide avec le fait de statufier le passé, de se tourner vers lui et d’y reconnaître des modèles et des précédents absolus.

    Nous devons penser à notre époque du 20ème et 21ème siècle, où l’on n’a jamais autant collectionné, muséifié, exposé ; où le patrimoine, sa préservation, sa constitution, son élaboration conceptuelle sont au cœur des préoccupations des artistes et surtout des historiens, des anthropologues aussi d’ailleurs. Y aurait-il donc des « modèles «  de civilisations, des modèles de représentations, qu’il faudrait à tout jamais préserver de la mort, de l’oubli, de la fin de l’Histoire ? Rappelons que l’art contemporain lui-même est totalement rentré dans les musées et les collections, qu’il se vend très bien. Et que la rupture dans ce processus de retour vers le passé et de recherche téléologique de l’art et de l’Histoire semble s’être parfaitement colmatée. Même  le postmodernisme, qui replace toute Histoire comme discours est lui-même un discours à même d’être dépassé.

    L’institutionnalisation est vraiment la caractéristique de cette volonté sans cesse reprise (serait-ce là encore une manifestation du cycle ou dirions-nous un invariant au sens lévistraussien du terme ?) de fixer le passé en le figeant pour tenter de le faire échapper à la mort ?

    Sans aller aussi loin, Vasari fonda en 1563 la première Académie moderne, l’Academia del Disegno et jusqu’à la rupture de la modernité, pendant  250 ans les Académies furent les temples de la            doctrine de Vasari fondée sur les  normes de son époque.

     

    En apparence, affirme Belting, Vasari et Winckelmann sont très différents.

    En fait,  si Winckelmann ne décrit pas l’art de son temps mais celui de l’Antiquité, et s’il ne propose pas des vies d’artistes,  une histoire de l’art, il a pour modèle lui aussi celui du cycle, la « croissance et décroissance de l’art grec ».Les normes pourrait-on dire sont les mêmes. Mais la fascination  de Winckelmann pour l’antiquité et un certain désintérêt pour l’art contemporain (cela fait plusieurs fois que je suis gênée par ce terme de contemporain employé par Belting pour dire l’art moderne, celui qui précisément part de la Renaissance et de Vasari, j’aurais d’ailleurs dû le signaler plus tôt) fait que la version antique devient pour ainsi dire l’original dont la version  florentine n’est « que » la réincarnation, la « copie » » ne pouvant égaler l’original. Il y donc bien chez Winckelmann une appropriation (je pourrais ajouter une appréciation) historique de l’Antiquité ; c’est d’ailleurs cela qui le rend si nostalgique.

    A son  tour Passavant va replacer la Renaissance dans l’Histoire, en allant plus loin : il veut réhabiliter le Gothique et va donc « décaler » les cycles, Antiquité ne devenant qu’une simple alternative au Gothique et donc avec Passavant ajoute Belting « pour la première fois l’idée que l’histoire de l’art est un processus continu et sans rupture fait son apparition ».

    Pour réévaluer le gothique il fallait réfuter les normes de Vasari, en faisant une histoire de la Renaissance, qui n’est plus un modèle elle non plus, mais qui est prise à son tour dans le mouvement de l’Histoire. Pour qu’il y ait progrès, il faut qu’un art soit vivant, il ne peut  pas n’être qu’une imitation, fût-ce une « perfection » ; Giotto  n’est pas ainsi « inférieur » à ses successeurs, l’invention l’ « invenzione » devant être placée plus haut que le « disegno » et la hiérarchie établie par Vasari (voir le petit tableau) se retourne ainsi contre lui. Les « primitifs » deviennent ainsi les « premiers » au double sens du terme.

    Mais il est évident que cette façon d’envisager l’histoire de l’art est à son tour significative de la « position » de Passavant (son ouvrage date de 1820) : le culte du « primitif », de l’art et de l’artiste « premiers » sont  bien au cœur du débat qui agite le dix-neuvième siècle, pris entre l’évolutionnisme et son refus, la recherche de formes premières et la reconnaissance de leur « ancienneté », le débat « actuel » qu’elles posent dans l’histoire du 19ème ( et dans la nôtre encore…). Pas étonnant qu’on ait réhabilité les « primitifs » italiens à l’époque.

     Le chapitre 9 de l’essai sur Vasari se présente bien comme une conclusion :

    « Toute œuvre d’art est le produit historique d’hommes historiques et en tant que telle a rempli une fonction et véhiculé un message qui peuvent en principe être reconstitués ».

    Bien sûr dans sa forme l’œuvre d’art peut dépasser l’historicité, puisque si elle est conditionnée par l’histoire, elle la conditionne à son tour. Mais la forme reste historique, témoignage des formes que prend l’histoire.

    Et la  norme « objectivement » donnée selon Vasari, n’est pas une norme absolue, elle est prise elle aussi dans le processus. C’est rétrospectivement que nous établissons clairement les différences entre l’art du quattrocento et ses modèles antiques, que nous en mesurons la distance ; les re-découvertes sont permanentes. Mais il y a des moments de l’histoire de l’art où la résolution d’un problème ne peut se faire à l’aulne des critères contemporains (ce fut le cas pour le maniérisme). Il faut trouver d’autres approches qui engendreront d’autres problèmes. La coupure épistémologique introduite par Durkheim et Saussure à la fin du 19ème siècle est significative d’un tel changement : l’un introduit le « fait social » et l’autre sépare la parole de la langue qu’il érige en système. L’art « fait social » et système de représentation particulier est ainsi replacé dans son historicité comme phénomène humain.

    Du coup me semble-t-il il n’est pas du tout étonnant que les études sur le Moyen Age reprennent une fraîcheur et intensité nouvelles, et que le Moyen Age n’apparaisse plus du tout, ni Moyen, ni  ancien, mais d’une « modernité » étonnante, par les solutions nouvelles qu’il apporta et que nous lui reconnaissons, d’ici et maintenant.

     

    Je vais donc à présent revenir « en arrière » et examiner le premier essai de Belting :

    L’histoire de l’art est-elle finie ? Réflexions sur l’art contemporain et l’histoire de l’art ».

     

     Ni l’art ni l’histoire ne pouvant être finis, il est évident que poser cette question équivaut à une affirmation : ce qui est fini, c’est la conception d’une histoire de l’art téléologique et le refus par certains artistes contemporains de la modernité en tant que nouveauté.

    Belting rapporte l’anecdote du Centre Pompidou le 15 février 1979, quand le peintre Fischer coupa une corde en déclarant : « l’Histoire de l’art est terminée », faisant de son  geste l’acte symbolique du refus d’une histoire de l’art comme histoire des avant-garde successives ; une entreprise commencée par Vasari qui voulait « expliquer » le cours des choses, nous l’avons vu, révéler les causes et les origines des styles et qui mit en place la notion d’évolution « biologique » des arts à différentes époques. L’histoire de l’art est devenue avec lui historisation de l’art qui supposait une conception unitaire, et unique, une cohérence de tout l’art. Ce qui supposait une norme à laquelle l’idéal du beau pouvait se mesurer. Croire en cette norme c’est le fondement du classicisme. Et si Winckelmann réagit contre le monopole du classicisme antique que les Florentins prétendaient détenir, ce n’est pas qu’il combatte cette norme mais parce qu’il espérait que la « véritable Antiquité » pourrait continuer à servir de modèle, en tant que symbole d’une « vision du monde » (la Weltanschauung hégélienne) même si Winckelmann à plusieurs reprises se montre conscient de l’irréversibilité du temps et de l’histoire.

    Les contemporains refusent ainsi la « mission » auto-assumée de l’art et de l’artiste comme avant-garde, c’est-à-dire la notion militaire d’une élite qui montrerait la voie et la direction de l’histoire.

    A la vision de l’art héritée de Vasari et Winckelmann, les Historiens d’art du 19ème opposent un ordre de succession gouverné par la forme, de Riegl à Wölfflin, remplaçant ainsi l’attention portée au contenu ou à la fonction de l’art par une attention portée exclusivement à la forme artistique ; l’histoire des styles elle aussi proscrit de son explication historique les facteurs non strictement artistiques. C’est le Kunstwollen de Riegl, la pulsion artistique, qui à chaque époque impulse de  nouvelles formes d’art en fonction d’une nouvelle vision du monde. Et chez Focillon (dans La vie des formes) on voit se développer les formes d’après leurs propres lois. Mais une histoire des formes ne pouvant représenter la totalité de la réalité historique de l’art , l’iconologie revint au contenu et du coup forme et contenu furent à nouveau séparés. L’herméneutique quant à elle marque la fin  du concept d’ « art » en tant que tel pour le remplacer par celui d’ « œuvre ». Mais le questionnement sur l’objet devient plus important que l’objet lui-même. Quant à la visualité pure, au concept de forme « ouverte » ou « fermée »de Wölfflin, ils méconnaissent que la vision elle aussi reflète des conventions culturelles qui ne s’expliquent pas par la structure physique de l’œil. La vision  conditionne la forme artistique autant qu’elle est conditionnée par elle. Enfin la psychologie de la perception et de la représentation chez Gombrich posent comme problème permanent de l’histoire de l’art la représentation de la réalité.

    Mais l’erreur serait dit Belting de réduire l’acte artistique à l’acte d’imitation, seulement mesurable quand l’art imite la nature, et non quand l’art imite la réalité  sociale, religieuse, personnelle.

    En fait l’œuvre d’art apparaît aujourd’hui sous un jour nouveau : elle ne témoigne plus de l’art mais de l’être humain  qui ne perd pas le contact avec le monde mais s’en fait le témoin. Dans l’ œuvre d’art « l’homme révèle son  historicité avec sa vision limitée du monde ». L’œuvre est ainsi un document historique. Elle se situe « à la croisée de son destin historique et de son destin individuel ». « Elle témoigne d’autre chose que de l’art lui-même ».

     

    Voici donc les nouvelles tâches que Belting assigne à l’histoire de l’art :

    • Le dialogue s’avère nécessaire   entre elle et les sciences humaines
    • Il ne faut pas remplacer l’histoire stylistique par l’histoire sociale : l’étude de la forme reste le sujet principal de l’analyse, une analyse fonctionnelle en même temps que celle de l’esthétique de la réception.
    • L’esthétique de la réception permet d’intégrer l’histoire des formes dans un processus historique où interviennent aussi les hommes. L’œuvre est ainsi mise en rapport avec son public, mais aussi avec l’art antérieur, ou avec  des artistes ou des œuvres à venir. La référence se présente ainsi comme un « horizon d’attentes » où production et réception permettent le lien entre spectateur d’autrefois et spectateur d’aujourd’hui, l’un cause  de l’œuvre et l’autre cause de la « question » adressée à l’œuvre.

    Ce sont bien les questions que nous nous posons aujourd’hui ici et maintenant sur l’œuvre qui réorientent le questionnement sur les œuvres par les interprètes antérieurs .

    • L’art contemporain recherche un enracinement dans la vie ( j’ai bien envie de contester cette remarque, disons qu’elle concerne certains artistes contemporains) et les nouveaux travaux en histoire de l’art recherchent cet enracinement dans la vie dans l’art ancien.
    • Il faut prêter attention aux médias et si l’on  ne peut pas vraiment interroger les œuvres d’art ancien comme des systèmes d’information modernes, on peut néanmoins grâce aux sciences du langage éclairer les systèmes symboliques élaborés par les hommes par les hommes, dont l’art fait partie.
    • La vue rétrospective de l’art ancien à la lumière des approches modernes permet de rendre visibles des aspects qui ne l’étaient pas, ne pouvaient pas l’être : chaque génération interprétant l’objet se l’approprie à nouveau. C’est peut-être cette conscience-là qui est nouvelle, oserais-je dire…

    Maintenant que nous avons reconnu l’historicité de l’art nous pouvons peut-être trouver le lien entre l’art et le public qui en fait l’usage et expliquer pourquoi et en quoi ce lien détermine, et a déterminé dans le passé, telle ou telle forme artistique.

     

    Du coup l’on peut replacer l’art « moderne » à sa place ! L’art moderne et sa succession d’avant-gardes qui nient avec force la tradition instaurent  ainsi une nouvelle tradition et, au lieu de rompre avec l’art ancien, l’art classique, prennent place dans l’ordre de l’ordre de l’Histoire. Et si art traditionnel et art moderne ne peuvent plus s’opposer puisqu’ils sont tous deux des traditions, du coup l’art traditionnel ne l’est peut-être plus autant et nous pouvons alors nous interroger sur sa « modernité ».

    Il n’est pas étonnant que ce constat et cette réflexion aient lieu au moment même où l’anthropologie et l’histoire de l’art croisent leur regard et se demandent comment l’art est né et ce qu’il était supposé être dans d’autres cultures et d’autres sociétés, en d’autres termes qu’elles questions il posait ou quelles réponses il apportait à la société des hommes où il émergeait, dont il était à la fois la vision et l’image.

    Hans Belting pense donc que le fossé existant entre deux sortes d’histoire de l’art, soit celle de l’art ancien, soit celle de l’art moderne, n’ a pas de sens. Qu’est beaucoup plus intéressante l’interrogation permanente du médium de l’art, de l’homme historique et de ses images du monde.

     

    Voici son Epilogue :

    Adoptant en quelque sorte une position  critique post-moderne, Belting rappelle que si l’histoire de l’art étudie des supports de représentation, les œuvres d’art, elle « pratique » elle-même la représentation et qu’ainsi, « construisant l’histoire de l’art, elle représente l’art, lui donne une histoire douée de sens », en-dehors de l’histoire générale, elle construit un récit qui se veut vérité. Or c’est précisément la foi dans les grands récits, les « méta-récits » que le post-modernisme entend bien mettre à bas. Représenter n’est pas innocent.

    Ainsi les artistes peuvent-ils eux aussi fabriquer une histoire de l’art bien à eux, comme le critique ou l’historien ; l’histoire de l’art n’est donc plus l’objet des seuls historiens, qui ne se trouvent pas  non plus détachés de cet objet qu’ils devaient rendre accessible par leur interprétation. Disparaît donc la croyance en une Histoire de l’Art cohérente, monobloc, universellement valable –d’autant que nous ne pouvons parler que d’histoire de l’art occidental, puisque toutes les autres-si elles existent ou ont existé- ne  nous ont jamais été accessibles.

    L’œuvre, l’objet d’étude, ne peut relever d’un système général de représentation, car cet objet, cette œuvre, ne  nous livrera jamais son message qu’en fonction des questions que l’historien lui pose.

     

    C’est donc bien à une leçon de prudence et de modestie que  nous invite Hans Belting, et en même temps ses propositions sont passionnantes : l’Histoire de l’Art se présente comme un processus ouvert et infini, qui, à chaque époque utilisant les techniques et les concepts nouveaux de son époque, permet une relecture de l’art ancien (au sens d’antérieur à un autre). Mais du coup ces lumières  nouvelles portées sur l’art d’autrefois éclairent à leur tour les périodes qui suivent, y compris la nôtre, d’un nouveau jour.

    L’Histoire de l’Art nous dit finalement plus sur nous-mêmes et  notre époque que sur l’œuvre d’art. C’est en ce sens que Vasari et Winckelmann sont passionnants. Les artistes comme les historiens pratiquent la représentation. A  nous de décrypter les discours. L’œuvre, elle, reste hors d’atteinte.

     

     Muriel.


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  • Portes.jpg

    "Portes" pièce de théâtre de Rémi Checchetto, Script Editions.

     

    J'aime beaucoup.

     

    Résumé :
    Cinquante-quatre manières de parler des portes.
    En une seule phrase par page.

    Mon avis :
    L'écriture contemporaine telle que je l'aime, avec ses multiplications de sens, de couleurs, de la poésie, de l'humour...
    Je l'imagine au théâtre dans le même style que "La mastication des morts".


    Passages préférés :

    Porte 1 "il me faut penser à cette porte devant moi dans le temps et je n'aurai plus peur"

    Portes 8-10-40-48-50-54

    Porte 13 "le monde est un hérisson dont les piquants sont des portes"
    "le monde était une boule ronde et lisse qui est devenue un hérisson qui a peur ou se sent menacé"

    Porte 16 "dans le paysage des grands plateaux, des chevaux, du ciel orange, des bêtes avec cornes"

     Porte 33 "le drame des portes incorporées"

    Porte 42 "et quand, quand avons-nous eu la certitude qu'une fois la porte poussée elle n'allait pas mourir dans notre dos qui ne la voyait plus"

    Porte 45 "une fois la porte passée, le désir sera mort ne restera que son accomplissement" 

     


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  • Bleu de Michel Pastoureau

    Edition du Seuil 2000

    Edition de poche 2002

     

    Première réaction : enthousiasmée au début par la nouveauté du propos ; agacée à plusieurs reprises par le côté prétentieux (les historiens de l’art n’ont jamais vraiment étudié les couleurs ou ils  n’ont rien compris) ; déçue par le dernier chapitre qui me semble comporter des banalités et des jugements de valeur bien simplistes que l’auteur semblait vouloir bannir, telle la dernière phrase : le bleu « froid comme nos sociétés occidentales contemporaines dont le bleu est à la fois l’emblème, le symbole et la couleur préférée » : « froid comme nos sociétés occidentales » : l’auteur qui dès son introduction écarte violemment tout symbolisme ésotérique des couleurs plonge ici (et la dernière phrase n’est pas le meilleur endroit !) dans ces pseudo-valeurs qu’il s’est acharné à rejeter !

     

    Introduction : où l’auteur se situe dans le champ du savoir

    Chapitre 1 : une couleur discrète des origines au XIIème siècle

    Chapitre 2 : une couleur nouvelle XIème-XIVème

    Chapitre 3 : une couleur morale XVème-XVIIème

    Chapitre 4 : la couleur préférée XVIIIème-XXème

    Ce passage de « une » à « la » couleur ne me semble pas anodin : il marque bien sûr l’importance que prend le bleu par rapport aux autres couleurs de nos jours ; mais il est aussi le signe de ce que j’ai déjà remarqué : le caractère dogmatique de quelqu’un qui cherche à établir des lois, qui veut ériger son savoir en science ; et ne reste pas au  niveau de la recherche d’ éclairages nouveaux des couleurs.

     

    Introduction :

    A la suite de Durkheim et de l’école de sociologie, Michel Pastoureau reprend d’emblée l’opposition nature-culture, pour évidemment se situer du côté de cette dernière : la couleur est « un fait de société » ; donc il n’y a pas d’archétypes de la couleur, ni de « vérités transculturelles de la couleur ». La couleur est un « objet historique » ; on doit traiter cet objet comme tel ;  et du coup apparaissent  les difficultés liées à toute entreprise historique :

    1)documentaires :

    -les œuvres qui nous ont été transmises n’ont plus souvent leurs couleurs originelles

    • nous avons eu très longtemps l’habitude de penser en noir et blanc (je ne vois pas trop où il veut en venir ici)

    2) méthodologiques : par où commencer et quelle grille de lecture des œuvres appliquer ?

    Michel Pastoureau veut écarter les méthodes qui tendent à interpréter les œuvres d’après les textes pour proposer (et il se réfère ici aux analyses des préhistoriens et  nous pensons à Leroi-Gourhan étudiant les peintures pariétales), au moins dans un premier temps, une approche structurale des objets.

    3) épistémologiques : la couleur étant un fait social , et les sociétés évoluant, il faut nous garder de tout anachronisme qui plaquerait des valeurs, des classements actuels sur les couleurs perçues autrefois : il prend l’exemple qu’il reprendra : au Moyen Age le bleu est une couleur chaude, alors que pour nous c’est une couleur froide !

    L’auteur écrit qu’il ne s’attardera pas sur ces problèmes qu’il a traités dans d’autres ouvrages.

    Qu’il ne veut pas réduire son étude aux seules oeuvres picturales ou artistiques ; puisque la couleur est un fait de société.

    Qu’il ne se limitera pas  non plus au seul Moyen Age.

    Que son propos est de montrer un renversement des valeurs qui fait que :

    -le bleu compte peu pour les peuples de l’Antiquité, (elle est même dévalorisante pour les Romains car elle est la couleur des barbares)

    -montrée progressive de l’intérêt pour le bleu   et sa valorisation à partir du XIIème

    -son triomphe à l’époque contemporaine

    Qu’une couleur ne vient jamais seule et qu’il parlera des autres couleurs qui lui sont associées ou opposées , notamment « le rouge, son contraire, son complice et son rival au fil des siècles dans toutes les pratiques occidentales de la couleur. »

     

    Chapitre 1 : Une couleur discrète  des origines au XIIème siècle

    Sur les peintures pariétales pas de place pour le bleu : couleur que l’homme a reproduite, fabriquée et maîtrisée difficilement et tardivement ; ce qui explique qu’elle ait pu rester longtemps au second plan.

    Le rouge, le blanc et le  noir sont les trois couleurs de base des sociétés anciennes ; le bleu, lui, a une trop faible dimension symbolique ; il n’a pas de fonction classificatoire dans les sociétés. Pourquoi ?

    Il y a un rapport étroit entre la couleur, le textile, et la teinture de ce textile ; la teinture rouge (notamment celle qui provient de la garance) a été pendant des millénaires « la » couleur de teinture pour son pouvoir pénétrant et résistant dans les étoffes.

    Le rouge a longtemps représenté un tissu teint, le blanc un tissu non teint mais propre ou pur, le noir un tissu non teint, sale ou souillé. D’où les deux axes de la sensibilité antique et médiévale aux couleurs : axe de la luminosité et de la densité, issus de la double opposition blanc/noir d’un côte (rapport à la luminosité)  et blanc/rouge de l’autre (rapport à la densité c’est-à-dire à la concentration de matière colorante).

    Ce schéma ternaire cède la place en Europe occidentale entre le milieu du XIIème et le milieu du XIIIème à des combinatoires  nouvelles à partir de six couleurs de base.

    Et le bleu ? Les Celtes et les Germains teignent en bleu à partir de la guède. Les peuples du Proche-Orient, eux, font venir d’Asie et d’Afrique l’indigo.

    Et les textes ? La Bible parle peu des couleurs, et les termes de couleurs varient beaucoup d’une langue à l’autre. Il est difficile d’apprécier la place du bleu dans la Bible. Qui est plus bavarde sur les pierres précieuses, mais là aussi il y a des confusions, notamment entre le saphir et le lapis-lazuli.

    En Grèce les couleurs dominantes sont le rouge, le  noir, le jaune et le blanc, plus l’or.

    Les Romains voient dans le bleu une couleur sombre, orientale ou barbare : pour eux la couleur de la lumière n’est pas le bleu mais le rouge associé au blanc ou à l’or.

    Seule la mosaïque fait exception : venue d’Orient, elle apporte une palette plus claire, plus verte, plus bleutée, que l’on retrouvera dans l’art byzantin et l’art paléochrétien : le bleu y est non seulement la couleur de l’eau, mais parfois aussi celle du fond et de la lumière. Le Moyen Age s’en souviendra.

    On s’est même demandé si les Grecs et les Romains voyaient le bleu ! On s’est –évidemment !- posé la question à la fin du XIXème : certains savants ont répondu que  non : les hommes et les femmes des sociétés évoluées seraient plus aptes à distinguer et  nommer un plus grand nombre de couleurs que les sociétés antiques ou primitives : encore un vieux relent évolutionniste !

    En fait ces théories confondent vision des couleurs (phénomène biologique) et perception des couleurs (phénomène culturel). Et elles ignorent l’écart entre couleur « réelle », couleur perçue et couleur  nommée.

    L’imprécision du lexique des bleus reflète le peu d’intérêt que les auteurs romains et à leur suite ceux du premier Moyen Age chrétien portent à cette couleur, considérée comme la couleur des barbares.

    Pour les anciens il n’y aurait même pas de bleu dans l’arc-en-ciel ! Il semble se dégager des écrits scientifiques ou philosophiques de l’époque qu’il faille trois éléments pour que le phénomène couleur se produise : une lumière, un objet sur lequel tombe cette lumière, et un

    regarde qui fonctionne comme émetteur et récepteur. Il semble aussi admis qu’une couleur que personne ne regarde est une couleur qui n’ existe pas ; on peut parler ici d’ « anthropologie » de la couleur. C’est ainsi que les spéculations vont bon train chez les anciens pour déterminer le nombre des couleurs de l’arc-en-ciel : elles vont de trois à cinq en général. Jamais n’est mentionnée la couleur bleue !

    Le Haut Moyen Age continue à peu valoriser le bleu, qui est cependant présent dans la vie quotidienne, notamment dans les vêtements. Mais il n’est porté que par les personnes de basse condition ; jusqu’au XIIème siècle.

    Et jusqu’aux vitraux à fond bleu de la première moitié du XIIème le bleu est presque absent de l’église et du  culte chrétien.

    Aux premiers temps du christianisme c’est la  couleur blanche qui domine dans les vêtements . Puis à l’époque carolingienne l’or et les couleurs brillantes s’emparent des tissus cultuels.

    A partir du XIIème les grands liturgistes parlent de plus en plus des couleurs : le blanc, le noir, le rouge, le vert et le violet aussi ; mais jamais du bleu : le bleu n’existe pas.

    Le bleu va rester jusqu’à nos jours absent du système des couleurs liturgiques.

    Aux approches de l’an mil cependant le bleu tend à jouer dans certaines images le rôle d’une véritable « lumière » : c’est ce rôle de lumière divine et de surface d’inscription des figures que le bleu remplira dans les vitraux du XIIème : in bleu clair et lumineux qui fera couple avec le rouge.

    Ce lien entre le bleu et le fond des images se rattache à une nouvelle théologie de la lumière.

    Certains, comme Saint-Bernard, pensent que la couleur n’est pas de la lumière mais de la matière, donc quelque chose de vil, de méprisable. Et dans ce cas il faut la rejeter.

    Aux prélats chromophobes s’opposent les prélats chromophiles, qui pensent que la couleur est lumière, donc participe du divin ; c’est la cas de Suger qui accorde une place considérable à la couleur quand il fait rebâtir Saint-Denis vers 1130-1140.

    Et parmi les couleurs le bleu joue désormais un rôle essentiel aux côtés de l’or.

     

    Chapitre 2 Une couleur nouvelle XIème-XIVème siècle

    Le bleu devient une couleur à la mode, une couleur aristocratique, son statut change, elle témoigne d’une réorganisation totale (et sociale) de la hiérarchie des couleurs.

    C’est la Vierge Marie qui assure cette promotion du bleu : son vêtement n’a pas toujours été bleu, mais de couleur sombre, couleur d’affliction ; petit à petit c’est le bleu qui va devenir son attribut, un bleu qui s’éclaircit. Et c’est le développement du culte marial qui va assurer la promotion du bleu.

    Cette promotion du bleu au XIIème XIIIème siècle va toucher tous les domaines de la vie sociale.

    L’héraldique permet de faire des études statistiques : une armoirie sur vingt comporte du bleu à la fin du XIIème, une sur trois au début du XVème.

    Un autre « agent de promotion » du bleu, comparable à la Vierge Marie dans les images, va être dans l’héraldique le roi de France : le roi capétien use d’un écu d’azur semé de fleurs de lis d’or depuis la fin du XIIème et il est le seul à cette époque en Occident ;couleur choisie sans doute en hommage à la Vierge Marie, protectrice de la France et de la monarchie.

    Parallèlement les progrès dans les techniques tinctoriales et le développement de la culture de la guède aident à cette vogue des bleus, qui entrent en concurrence féroce avec les rouges issus de la garance, guerre marchande à l’appui !

    Le bleu est donc à la mode et l’historien se demande d’où vient cette soudaine promotion :

    • des progrès de la chimie qui permettent d’obtenir de beaux bleus lumineux  et suscitent leur diffusion ?
    • ou est-ce la société qui voulu de beaux bleus et les a demandés aux artisans ?

    Est-ce que l’offre préfère la demande ? Michel Pastoureau pense plutôt que c’est l’inverse, que l’idéologique et le symbolique précèdent le chimique et le technique ?

    La  lectrice se permet de dire ici que pour elle cette querelle de préséance est vaine ; et que ce pourrait bien être les deux qui se développent et s’appellent l’un l’       autre.

    D’ailleurs la lectrice toujours est agacée de cette prééminence du social dans les explications historiques ( qui s’explique facilement puisque Michel Pastoureau est plus ou moins rattaché à l’EHESS et que depuis Durkheim tout est social…d’abord…)

    Ceci dit tout de suite après Michel Pastoureau nuance et reconnaît que sur bien des points la chimie et la symbolique ne sont guère dissociables.

     

    Chapitre 3 Une couleur morale XVème-XVIIème siècle

     

    A partir du milieu du XVème le bleu devient  non seulement rival du rouge, mais aussi du noir dont la vogue est considérable. De royal et marial, il devient, comme le noir, moral. Ce vaste courant moralisateur est lié au développement du mouvement réformateur protestant du XVIème.

    Une grosse demande de noir à partir du milieu du XIVème pousse ici encore les teinturiers à obtenir de belles qualités de noir. Et cette valorisation du noir dure encore jusqu’à nos jours d’après l’auteur qui rappelle le chic du smoking noir, de la petite robe de soirée…

    De nombreuses lois somptuaires  concernant les vêtements sont décrétées après la grande peste de 1346-1350, qui visent à freiner les dépenses, et répondent aussi à une tradition de modestie chrétienne.

    Certaines couleurs sont alors proscrites ; mais pas le bleu. (en fait ces lois seraient antérieures à la promotion du bleu). Ni prescrit ni proscrit, son usage est donc libre, sans danger. Le « chromoclasme » n’atteint pas le bleu.

    Et c’est parce que le bleu est totalement absent des couleurs liturgiques que la Réforme va sans doute rester bienveillante à son égard, à l’intérieur comme à l’extérieur du temple, dans les usages artistiques et sociaux de la couleur, comme dans ses usages religieux.

    L’historien est en droit de s’interroger sur les conséquences du rejet des couleurs, de certaines d’entre elles, par la Réforme et le système de valeurs qu’elle a aidé à mettre en place. Newton est membre d’une secte anglicane…

    Le même Newton  qui met en valeur spectre des couleurs à la fin du XVIIème transformant l’ordre des couleurs : le rouge n’est plus à mi-chemin entre le blanc et le noir, le vert est pensé comme un mélange de bleu et de vert ; la notion de couleurs primaires et complémentaires se met en place, ainsi que celle de couleurs chaudes et couleurs froides.

    A la fin du XVIIIème l’univers des couleurs a encore changé.

    Quand une nouvelle querelle apparaît, celle de la primauté du dessin ou de la couleur (les poussinistes contre les rubénistes !) : les adversaires de la couleur la trouvent moins  noble que le dessin (création de l’esprit, alors que la couleur est le produit de la matière). La couleur gêne le regard (ceci ne concerne pas le bleu), elle est séduction et tromperie donc danger.

    Mais la science vient battre en brèche cette idée.

    Newton exclut le noir et le blanc des couleurs, il assigne une place centrale au vert et au bleu (et non plus au rouge), il mesure la couleur ; la colorimétrie fait donc alors son entrée dans les arts. Les rubénistes et la couleur l’emportent, car seule la couleur donne vie et chair.

     

    Chapitre 4 La couleur préférée XVIIIème-XXème

     

    Au XVIIIème le triomphe du bleu est achevé : par l’usage à grande échelle de l’indigo ; par la découverte d’un nouveau pigment qui permet l’obtention de  nouveaux tons ( le bleu de Prusse).

    Le bleu devient la couleur du progrès, les lumières et des libertés. Le mouvement romantique, la révolution  américaine puis française sont ici essentiels.

    La science, l’art et la société font du bleu la première des couleurs, jusqu’en notre début du XXIème .

    Jusqu’au XVIIIème les bleus clairs sont plutôt destinés aux habits des paysans ; mais la mode des bleus clairs se répand à la cour dans la première moitié du XVIIIème puis s’étend à l’ensemble de la noblesse et de la bourgeoisie. Elle est confirmée par l’accroissement du lexique des bleus dans plusieurs langues.

    La littérature des lumières et le début du romantisme se font l’écho de cette mode qui va triompher grâce au roman de Goethe : « Les souffrances du jeune Werther » où le héros porte un habit bleu et jaune. Michel Pastoureau souligne qu’on a ici un excellent exemple des allers-retours, du Moyen Age au XXème, entre la société et la littérature : Werther a un habit bleu parce que le bleu est à la mode en Allemagne vers 1770 ; mais le succès du livre renforce cette mode qui s’étend à l’Europe entière et aux arts figurés (peinture, gravure, porcelaine).

    Goethe fait aussi du bleu la couleur centrale de ses théories sur la couleur. Goethe fait du bleu et du jaune les pôles essentiels de son système. Mais symboliquement le jaune est une couleur froide, négative, tandis que le bleu est une couleur chaude, active.

    Le bleu fut paré de toutes les vertus poétiques (qu’il avait déjà  dans la poésie médiévale avec le jeu de mots ancolie-mélancolie. La lectrice se permet de remarquer ici que les poètes sont donc toujours bien en avance, en décalage en tout cas avec la société de leur temps ; témoin le poème El Desdichado de Nerval (poète maudit) dont le héros « porte le soleil noir de la mélancolie ».

    Michel Pastoureau pense qu’on peut rapprocher du bleu des romantiques allemands le blues né à l’horizon des années 1870.

    Mais à ce bleu romantique, mélancolique ou onirique s’ajoute à la fin du XVIIIème le bleu national, militaire et politique, né en France, où il conserve ces valeurs pendant près de deux siècles.

    Pensons aux maillots bleus de nos sportifs nationaux. Mais aussi à notre drapeau bien sûr !

    C’est la couleur la plus importante puisqu’elle est placée près de la hampe et quand il n’y a pas de vent c’est la seule visible.

    Le bleu est consensuel, il y a une continuité de ce bleu français, depuis l’azur des armoiries royales devenu dès le XIIIème la couleur de la monarchie, puis celle de l’Etat et à l’époque moderne celle de la Nation. C’est la Révolution qui en fait la couleur nationale.

    La Révolution a aussi fait du bleu pour un temps la couleur des soldats combattant pour la République puis pour la France.

    C’est surtout pendant les guerres de Vendée que le bleu militaire et républicain devint couleur politique, opposé au blanc de l’armée catholique et royale.

    Mais au cours du XIXème le bleu républicain fut débordé sur sa gauche par le rouge des socialistes et des extrémistes et à partir de la Révolution de 1848 devint la couleur des républicains modérés puis des centristes et sous la Troisième République celle de la droite.

    Au cours du XIXème le  noir redevint la couleur dominante, en ville comme à la campagne, pour les hommes comme pour les femmes. Mais dès avant la Première guerre mondiale la palette vestimentaire recommença à se diversifier et le bleu prit ou reprit peu à peu la première place. Surtout grâce au triomphe des tissus bleu marine à partir des années 1920.

    A commencer par les uniformes. Suivis par les vêtements civils et le triomphe du blazer .

    Depuis la Deuxième guerre mondiale le triomphe du bleu est assuré, surtout depuis celui du jean  dans les années 50 !

    D’abord vêtement de travail, le jean devient un vêtement de loisirs et de vacances (surtout dans la société riche américaine). Puis il devient un vêtements de jeunes, de citadins, puis de femmes. Les sociologues ont vu dans ce succès un fait de société, un vêtement androgyne, emblème de la contestation ou de la révolte des jeunes. La lectrice voudrait rajouter du rêve américain, même s’il est contesté de nos jours….

    En Europe occidentale le jean semblerait en recul depuis les années 80 ; mais devient contestataire du coup dans les pays communistes, ou musulmans, ou en  voie de développement.

    En fait le jean est un vêtement ordinaire, porté par des gens ordinaires, solide et confortable, cherchant à se faire oublier. On pourrait dire que c’est un vêtement protestant (même si son créateur est juif) : simplicité des formes, austérité des couleurs, tentation de l’uniforme.

    Le bleu est bien la  couleur préférée de l’Europe occidentale et des Etats-Unis (il serait intéressant selon la lectrice d’aller voir ailleurs, en Inde par exemple, ou en Chine).

    D’ailleurs Michel Pastoureau termine ce chapitre en soulignant qu’effectivement, dans le domaine des couleurs, comme dans tant d’autres, les différences entre sociétés sont fondamentales. Elles mettent en valeur le caractère étroitement culturel de la perception des couleurs et soulignent le rôle important des associations perceptives entre les sens. Elles invitent aussi l’historien à la prudence.

     

    Conclusion : Le bleu aujourd’hui : une couleur neutre ?

    Le bleu reste la couleur préférée.

    Le vêtement en est la principale manifestation.

    Les faits de lexique confirment les pratiques vestimentaires : bleu est devenu un mot magique, un mot qui séduit, apaise et fait rêver. Il évoque une musique douce, le ciel, la mer, le repos, les vacances…

    En fait il semble moins « chargé » symboliquement que d’autres couleurs : il ne choque pas, ne blesse pas, il vaut mieux avouer qu’on préfère le bleu plutôt que le noir, le rouge.

    Le bleu ne fait pas de vagues dans la symbolique occidentale. C’est d’ailleurs pour cela que sur la route il se trouve sur les panneaux d’autorisation. Qu’il est la couleur des Casques Bleus, les soldats de l’ONU. L’association bleu et paix est ancienne.

    Le bleu, couleur chaude au Moyen Age et à la Renaissance, s’est progressivement « refroidi »à partir du XVIIème et c’est au XIXème qu’il a pris son véritable statut de couleur froide. Et dans ce passage c’est probablement l’association entre le bleu et l’eau qui a joué : l’eau était presque toujours représentée verte jusqu’au XVème.

    Il a fallu du temps pour que le bleu devienne froid. « Froid comme  nos sociétés occidentales contemporaines dont le bleu est à la fois l’emblème, le symbole et la couleur préférée ».

     

    Etonnante cette dernière phrase de Michel Pastoureau, où il émet un jugement catégorique sur nos sociétés ; révélateur de sa position politique ? Mais alors il  ne fait qu’abonder dans le sens de sa démonstration : la couleur, comme tout fait social –au sens durkheimien du terme- révèle non seulement les archétypes sous-jacents ; elle dit aussi, elle manifeste ces archétypes.

    Si le bleu est devenu une couleur froide, symbolique de nos sociétés occidentales modernes (européenne et  nord-américaine), cela signifie-t-il que Michel Pastoureau préfère le bleu chaud du Moyen Age et de la Renaissance ?  Ces sociétés étaient-elles donc « chaudes » ? A quel titre ? Plus humaines, plus « spirituelles » ? Faut-il reconnaître ici les préférences de l’historien médiéviste ?

    En tout cas ce qui est bien évident selon la démonstration  c’est que ce qui nous paraît naturel : la couleur, est en fait culturel, en tout état de cause la perception que nous en avons.

     

    Je n’ai pas trouvé ce critiques négatives du livre et de son auteur.

    Je salue l’érudition et l’enthousiasme du chercheur.

    Je regrette que dans son introduction il ait rejeté d’emblée ce qu’il appelle les « prétendues vérités universelles ou archétypales de la couleur ».

    S’il n’y a pas de vérités universelles de la couleur, on pourrait dire, suivant en cela Lévi-Strauss et le structuralisme, que c’est la couleur qui est un archétype universel, le fait qu’elle ait tant d’importances dans les sociétés, quelles qu’elles soient ; puisque aussi bien son rejet que l’engouement pour telle ou telle semble un processus historique constant ; malgré ou  en dépit, ou en accord avec telle ou telle théorie de la lumière ou des couleurs.

    J’ai beaucoup aimé tout l’aspect technique de son travail, la plongée dans l’univers des teinturiers, des marchands, des tissus. Cet aspect-là m’a passionnée.

    La technique et la chimie avant la symbolique ? Ou le contraire ? La nature ou la culture ? Cet ordre de préférences m’agace toujours. Tout comme dans l’Histoire de l’Histoire de l’art les débats sur l’antériorité de la figuration ou de l’abstraction.

    Les représentations humaines dictent-elles leurs lois à la nature ? La contraignent-elles ? Oui si l’on considère que les hommes à une époque ne « voyaient » même pas le bleu, puisque-selon Michel Pastoureau- le bleu ne les intéressait pas. Le monde n’existe-t-il que dans nos représentations ? Je ne voyais pas le bleu comme symbole de nos sociétés contemporaines froides.

    Le froid pour moi c’est le blanc de la neige et des glaciers.

    Le bleu je l’associe aux bleus des mers du sud, donc à la lumière et aux tropiques. Peut-être que je me rapproche davantage des artisans et artistes médiévaux chrétiens, puisque le bleu pour moi c’est la couleur de la mer, de l’infini, du ciel, de l’union.

     

     

     

     

     

     

    Pour prolonger un peu les propos (et les critiques) de Michel Pastoureau, je voudrais faire quelques remarques à mon tour : on voit bien que l’auteur n’est pas Historien de l’art : il dit que les Historiens de l’art ne se sont pas intéressés à la couleur ou  n’y ont pas compris grand chose. Moi je me pense que Michel Pastoureau ne s’est pas intéressé aux différents traitements de la couleur par les artistes : les bleus de Chagall ne sont pas les bleus de Magritte, les bleus de Vermeer ceux de Mondrian : un travail tout en nuances serait très passionnant dans ce domaine.

    Il y  a autre chose, me semble-t-il : l’auteur n’a pas pris en compte les recherches contemporaines sur la couleur, sur les vibrations de la lumière et de la couleur, l’art cinétique.

    Et aussi les recherches de l’ « œil musical », de la ligne musicale des peintres, à l’origine et dans le courant de l’abstraction.

    L’exposition « Aux origines de l’abstraction » au Musée d’Orsay en 2003 rappelle que Goethe dans  son Traité des couleurs de 1810 a introduit l’expression « l’œil solaire » et la notion de seuil de visibilité ;  il a multiplié les expérimentations et évoqué « l’effet physico-moral des couleurs ». On sait que Turner était fasciné par ce traité de Goethe. De Turner aux impressionnistes et à Van Gogh, les recherches sur les vibrations de la lumière et des couleurs n’ont cessé de  nous enchanter.

    Jusqu’à faire de la perception de la couleur le sujet principal de l’œuvre picturale : on pense ici aux Delaunay ; plus encore à certains futuristes comme Severini ou au rayonnisme de Larionov.

    Mais établir des correspondances entre les vibrations des ondes sonores et chromatiques, il nous semble qu’un artiste « néo-impressionniste » comme Signac l’a plus magistralement réussi, notamment dans sa série Concarneau de 1891 : le système combinatoire des couleurs divisées par petites touches puis recomposées et s’harmonisant évoque les gammes musicales.

    Il faudrait ajouter :

           -  le travail sur les forces dynamiques de la déformation et les illusions d’optique, combinées à l’interaction des couleurs complémentaires dans l’œuvre de Vasarely ;

    • les modulateurs d’espace et de lumière de Moholy-Nagy qui explorent les ressources de la technologie contemporaine ;
    • les recherches de couleur par la vibration pure de Demarco, les « Espaces chromatiques » de Vardenega qui combinent nouvelle conception de l’espace, formes et symboles géométriques, et utilisation de la transparence lumineuse ;
    • et bien d’autres..

    Les couleurs présentées par Michel Pastoureau nous semblent bien fixées, « figées », nous oserions dire « sacralisées ». Pour quelqu’un qui semblait vouloir rejeter tout l’attirail symbolique des couleurs ! Les conceptions dynamiques contemporaines ouvrent des champs d’exploration nouveaux pour les couleurs, prenant en compte la dimension du temps, et faisant appel à la musique, à la perception des couleurs par un autre sens. A quand l’étude du toucher des couleurs ?

     

    Bibliographie de ce petit additif :

    - « Aux origines de l’abstraction » exposition au Musée d’Orsay Dossier de l’art n°102

    - Art cinétique et op’art par Frank Popper in Histoire de l’Art éditions Grange Batelière 1974

    + mes réflexions inspirées par le cours d’Histoire de l’art contemporain 2004-2005 à Bordeaux3 par Marion Lagrange et le cours sur La sculpture au 20ème siècle par Richard Leeman.

     

    Muriel.


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  • J'ai lu et beaucoup ri à la lecture de: L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea.

    Non, ce n'est pas une publicité pour Ikea, c'est une publicité pour les clandestins qui cherchent par tous les moyens à rejoindre cette Europe mythique qui fait briller leurs yeux. Mais plus encore c'est une publicité pour l'intelligence de ce faux fakir (j'ignore si vous lecteurs vous pensez qu'il en existe des vrais!) qui, ayant vu qu'Ikea proposait dans son catalogue un extraordinaire lit à clous, veut s'en procurer un pour ses futures facéties!

    Oui j'ai beaucoup ri et partagé cette histoire au rythme endiablé qui se passe en grande partie dans des caisses bien emballées!

     

    C'est avec un peu de réticence que je suis allée voir: Guillaume et les garçons, à table! Comme Camille je n'aime pas trop les comédies. Mais là bluffée! D'abord et en grande partie par le jeu d'acteur de Guillaume Gallienne, qui fait rire, qui émeut, qui prend aux tripes. Et cette histoire d'identité imposée par la famille et si mal assumée est poignante de vérité et de drame évité, au-delà de situations burlesques, rarement caricaturales.

    Partagez votre ressenti si vous avez vu ce film. Je pense que Guillaume Gallienne mérite les plus hautes récompenses pour la finesse avec laquelle il glisse d'une situation à l'autre, d'une émotion à l'autre.

    Et pour une fois l'histoire terrible familiale se termine bien!

     

    Ma petite conférence sur La Joconde, numéro 1 au box office depuis cinq siècles, a suscité pas mal d'interrogations et d'échanges.

    A partir de la notion de chef-d'oeuvre et de la "muséification" des oeuvres, nous avons parcouru, non seulement les mystères qui entourent la serenissima, mais aussi ses nombreux avatars. Et ne pouvant l'admirer à loisir à cause de sa notoriété, nous nous sommes interrogés sur la "valeur" des oeuvres d'art; et nous avons mis en cause l'intérêt des musées: faudrait-il les supprimer? Et du coup la mémoire des oeuvres léguées par le temps a été interrogée: et si l'on avait laissé Lascaux, la "vraie" visitable, au risque de la voir disparaître? Et si l'on sortait La Joconde de son "cercueil" de verre pour qu'on puisse la contempler? Et si l'on restituait les oeuvres à leur pays d'origine? 

    Bon, je le savais, il suffit de réveiller Mona Lisa pour qu'une petite conférence titille nos cerveaux et que nous trouvions matière à "grignoter des idées" selon la jolie formule de Camille.

    En plus Yves avait apporté sa pomme de terre favorite, la Mona Lisa. Alors ceux qui avaient une petite faim pouvaient se rassasier...

     

     

     

     


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  • Karukera.JPGLa mulâtresse solitude d’André Schwartz-Bart 1972.

     

    Je n’ai pas beaucoup lu de livres récemment mais celui-ci m’a particulièrement plu. Ce personnage se retrouve dans un texte de maman et c’est suite à la lecture de celui-ci que j’ai eu envie de lire le livre qu’elle m’avait passé.

    J’ai adoré l’écriture de ce roman. Selon moi une très belle prose, très poétique. Certains événements se mêlent au rêve, à l’imaginaire et leur horreur en devient parfois bien lointaine. C’est comme quand je regarde le monde sans lunette, je vois les couleurs et les grandes formes mais les détails disparaissent et les choses qui se passent sont floues, tous les visages se ressemblent.

    Et puis voilà une histoire sur deux générations d’une femme, d’un peuple ayant vécu en Afrique, ayant été réduit en esclavage en Guadeloupe, ayant connu le viol, le métissage, puis la résistance. La résistance d’une métisse parfois surprenante, incompréhensible. La résistance d’un peuple déraciné qui ne sera jamais plus chez lui nulle part. L’histoire de la mulâtresse solitude est parfois absurde, comme l’histoire de beaucoup d’hommes et de femmes en fait. Mais son humanité s’exprime parfois avec tant de force qu’on ne peut rester insensible au destin de sa mère, de son peuple et de la Guadeloupe.

    Un bel hommage tout en poésie.

     

    Mikaël.


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